Malgré, ou à cause de la météo favorable, le problème de la surproduction prend cette année une dimension particulière, avec une récolte qui atteint le potentiel maximum de 7 millions d'hectolitres, alors que les ventes plafonnent autour de 5,5 millions d'hl. Si ces derniers jours sont marqués par de fortes averses, précipitant les derniers coups de sécateurs, le mois de septembre a été "exceptionnel" en Gironde. Un mois "chaud et sec, avec des nuits plus fraîches", indique-t-on ainsi dans le Saint-Emilion où ces conditions ont largement profité aux merlots, "arrivés lentement à maturité". Les premiers vins "présentent beaucoup de fruits, beaucoup de saveurs, avec des tanins frais et souples", indique Hubert de Boüard, propriétaire du Château Angélus et président du syndicat viticole des Saint-Emilion. Quant aux cabernets, "ils ont atteint un excellent niveau de maturité", selon le syndicat. La qualité de la vendange 2004 est donc, en ces temps de tourmente, "un soulagement", selon le président du Conseil interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), Christian Delpeuch.
Le CIVB a été échaudé en début de semaine par la décision du ministère de l'Agriculture de ne pas transmettre à Bruxelles une demande d'arrachage de vignes, nécessaire pour obtenir des primes. Il s'agit, en fait, "d'un report", précise, soulagé, M. Delpeuch. L'arrachage définitif de parcelles, ainsi qu'une commercialisation des vins limitée à 50 hectolitres/hectare, font partie des mesures préconisées par le CIVB pour juguler la crise. Reste que la prime versée par Bruxelles --6 300 euros par hectare-- n'est pas jugée suffisamment incitative. Le but serait donc d'arriver, grâce notamment au concours des collectivités territoriales et du CIVB, à une prime de 12 000, voire 15 000 euros, pour parvenir à l'arrachage de quelque 10 000 hectares. Déjà, entre 500 et 600 viticulteurs sont dans le rouge. Les dépôts de bilan, toutefois, sont pour l'instant "minimes", selon Christian Duvillet, le directeur général du Crédit Agricole Aquitaine, qui compte quelque 7 500 clients viticoles. L'heure n'est pas encore au contentieux mais à "l'accompagnement" des viticulteurs en difficulté, selon le Crédit Agricole qui propose, en collaboration avec la Chambre d'agriculture, des audits économiques, financiers ou techniques. "Les douze mois qui viennent seront cruciaux", affirme cependant un ingénieur de la Chambre d'Agriculture.
Signe de l'urgence, la maison Cordier, pourtant pionnière en matière de vins de marque, a dû se résoudre fin septembre à mettre en vente ses six prestigieux châteaux en raison de difficultés financières. Un revers spectaculaire qui illustre l'importance pour les Bordelais, de réussir leur mutation. "Une mutation nécessaire, incontournable", dit-on à la Chambre d'agriculture, pour s'adapter aux nouvelles donnes du commerce mondial et tirer le meilleur parti de la réputation internationale des vins de Bordeaux. Car, alors que les Bordeaux se caractérisent par leur complexité, les consommateurs étrangers, tout comme les jeunes, exigent aujourd'hui des vins faciles, aisément identifiables et de qualité homogène, quel que soit le millésime. |